Page:Gautier - L’Usurpateur, tome 2.djvu/8

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elle se refuser ? La Kisaki ordonnait en sacrifiant noblement son amour inavoué ; de plus, tout le monde au palais connaissait les sentiments de Fatkoura pour le prince de Nagato : elle les avait laissé voir audacieusement dans l’orgueil de sa joie, lorsqu’elle se croyait aimée.

Elle quitta la cour précipitamment, lasse de montrer un masque souriant à ses amis, dont les félicitations l’accablaient.

Pendant le voyage, elle ne regarda rien du charmant pays qu’elle traversait, elle tenait continuellement son regard fixé sur le tapis de son norimono, approfondissant sa douleur.

Quelquefois elle faisait venir Tika.

La jeune suivante s’accroupissait en face d’elle et la regardait avec une compassion inquiète. Elle essayait de la distraire de son rêve douloureux.

— Regarde donc, maîtresse, disait-elle, regarde la jolie rivière couleur d’absinthe qui coule entre ces coteaux de velours. Toutes les nuances de vert sont ici réunies : le saule pâle, le cyprès obscur, le bouleau glacé d’argent, le gazon clair comme une émeraude ; chacun donne sa note. Vois, pour qu’il soit vert aussi, la mousse a envahi ce moulin à eau dont la rivière répète l’image ; et là-bas ces roseaux qui ressemblent à des sabres et ces canards qui battent des ailes sur l’eau et