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Page:Gautier - L’art moderne, Lévy, 1856.djvu/21

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aux Troyens le corps de son ami Patrocle ; plus loin s’élèvent les hauts murs d’Ilion, où le grand cheval de bois va introduire les Grecs, et le cadavre d’Hector, traîné dans la poussière, expie la mort de Patrocle ; puis, dans un coin, est assis Homère, aveugle : le récit auprès de l’action. Il est entouré de vieillards, emblèmes de la tradition, qui lui racontent les hauts faits des hommes du temps passé, et de jeunes gens attentifs, rapsodes futurs, qui écoutent pieusement les légendes que le poëte transforme en vers à mesure qu’il les recueille. Pour mieux chanter le blond fils de Thétis aux pieds d’argent, Homère vient d’ajouter une nouvelle corde à sa lyre. A ses pieds, une seconde lyre d’une forme moins auguste, plus familière, pour ainsi dire, figure l’Odyssée, épopée déjà moins sévère.

Les temps héroïques sont clos : l’homme, après avoir secoué la terreur de dieux horribles et de religions écrasantes, n’a voulu dépendre que de sa force physique et de son courage personnel : il a appris à connaître sa valeur intrinsèque ; le progrès est déjà sensible : l’humanité se perfectionne. Aux chaos génésiaques, aux énormités antédiluviennes ont succédé les distinctions de race, la régularité théocratique. Mais si le désordre est funeste, l’immobilité ne l’est pas moins. Annihilé par un pouvoir trop puissant, l’individualisme avait besoin de se constater, et les héros se sont détachés violemment de la longue procession sacerdotale, où les pas étaient réglés et les attitudes prescrites. Cependant la force physique ne suffit pas à remplir l’idéal que poursuit l’humanité. La force morale doit se joindre à la force physique comme l’âme au corps. A côté de l’idée de puissance commence à sourdre l’idée de justice. Les législateurs ne vont pas tarder à se produire.