Aller au contenu

Page:Gautier - L’art moderne, Lévy, 1856.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vieillard à la triple couronne, et recule effrayé devant le rayonnement tranquille de la force morale et la majesté surhumaine de la religion. – Dans le fond, la flamme dévore les monuments de la Rome antique, temples, cirques, arcs de triomphe. La Rome des Césars fait place à la Rome papale. Attila et les barbares, qui s’imaginent être des conquérants, ne sont que les fossoyeurs qui enterrent le grand cadavre de l’empire romain.

Attristée, effrayée de ces bouleversements, de ces scènes de violence sauvage, l’âme, sous la figure de saint Jérôme, va chercher aux Thébaïdes le repos et la méditation ; les barbares font trouver douce la société des bêtes féroces : il y a des époques où il fait meilleur vivre avec les tigres qu’avec les hommes.

Seul au milieu d’un paysage grandiose et sévère et qui ne manque cependant pas des âpres charmes du désert, saint Jérôme est assis sur un quartier de roche. Il traduit la Bible, tandis qu’un de ses bras laisse pendre une main distraite qui joue avec les mèches de la crinière d’un énorme lion léchant indolemment ses pattes à côté de son maître.

Cette composition, une des moins compliquées de la série, mais non pas la moins intéressante, indique qu’après tant de cataclysmes et d’évolutions, l’humanité a le besoin de respirer et de se recueillir un peu. Cet élan vers le désert, cette soif des mornes solitudes dénotent l’accablement qui suit les excès d’action : il faut au monde étourdi du fracas des invasions et des chutes d’empire quelques années de silence et d’isolement pour recomposer son idéal, sans quoi le plus épais matérialisme ou la plus grossière superstition envahirait la terre.