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Page:Gautier - L’art moderne, Lévy, 1856.djvu/84

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L’Enfer occupe le cercle placé dans le bras gauche de la croix à partir de la porte d’entrée, le côté sinistre. Cet enfer est aussi païen que celui du Dante, le grand poëte catholique. Les imaginations grotesques du moyen âge auraient dérangé la gravité de l’ensemble, et l’antiquité seule a connu le secret de la beauté dans le terrible. D’ailleurs, la part est égale entre les deux religions. Le polythéisme a l’enfer et l’élysée ; le christianisme le purgatoire et le paradis, peut-être même le purgatoire d’où les prières des fidèles peuvent tirer les âmes, est-il un enfer suffisant pour la religion de mansuétude et de pardon où la Providence a remplacé la fatalité. C’est cette idée qui a sans doute influencé l’artiste.

Cette composition fourmillante et serrée, où d’innombrables groupes se mêlent et se balancent sans se confondre, est une des plus dramatiques et des plus saisissantes conceptions du peintre. Il a déployé là cette prodigieuse science du corps humain, cette invention d’attitudes violentes et de raccourcis strapassés que nul n’a possédée au même degré depuis Michel-Ange, dont le nom vient forcément à l’esprit et aux lèvres quand on regarde ce colossal fouillis de supplices d’une variété et d’un raffinement à surprendre une imagination de bourreau.

Le centre de la composition est occupé par un grand rocher creusé en grotte, où siège le tribunal de l’enfer ! la morne triade souterraine d’Eaque, de Minos et de Rhadamanthe, les juges sans appel, dont Alighieri fait des espèces de dieux demi-démons, indiquent le cercle où doit être précipité le coupable, en tournant un certain nombre de fois leur queue autour de leur corps.

Les criminels sont poussés au tribunal par des diables