Page:Gautier - L’art moderne, Lévy, 1856.djvu/91

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où ne sont guère placés que ceux qui n’éprouvent pas encore ou n’éprouvent plus les passions violentes, c’est-à-dire les enfants et les vieillards. Là règnent les plaisirs tempérés, la causerie intime et philosophique, la vue des beaux ombrages, la gaieté du banquet, l’ivresse intelligente et la sensualité délicate, toutes les jouissances qui pivotent sur la cardinale d’amitié. Bacchus, il est vrai, a bien sa femme avec lui mais elle dort, emblème ingénieux qui montre que la femme est d’un emploi hasardeux dans les harmonies amicales.

Le Paradis est placé dans le bras droit de la croix. Les portes de la cité céleste, bâtie au-dessus des nuages, sont ouvertes par saint Pierre et saint Jean ; la Vierge, revêtue du soleil, entourée de sept séraphins qui chantent en s’accompagnant de leurs harpes d’or, s’avance pour recevoir la foule des chrétiens purs et fervents qui l’élèvent sans aucun secours d’ailes ou de nuées, depuis le bas de la composition, entraînés dans ce mouvement ascensionnel par l’intensité du désir.

Parmi les groupes, on reconnaît aisément Dante, notre grand ami, guidé par Béatrix. Il détourne la tête, car ses yeux voilés encore des ombres humaines ne peuvent supporter l’éblouissement de la lumière divine.

Raphaël et fra Angelico de Fiesole se tiennent aux pieds de la Vierge dans une attitude d’admiration amoureuse. Eux qui l’ont tant adorée sur terre, n’ont-ils pas droit de s’agenouiller au ciel, plus près que personne de leur dame et souveraine ?

Le bas du tableau est rempli par une résurrection. Des anges chargés de réveiller les dormeurs de la vallée de Josaphat volent près de terre et rasent le sol comme des