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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

À Charlemagne et à Roland nous allons opposer un héros tout espagnol et qui les vaincra. » Ainsi raisonna l’Espagne des xiie et xiiie siècles. Rodrigue de Tolède[1] fut l’un des premiers à donner un corps à ces protestations trop aveuglément patriotiques. Il raconte, dans sa Chronica Hispaniæ[2], que Roland fut défait à Roncevaux par Bernard del Carpio. Et le voilà, ce héros tout imaginaire qu’on ne craint pas d’opposer à notre héros historique. Alfonse X[3] ira plus loin dans sa Cronica general. Ce roi catholique ne rougira pas de représenter Bernard del Carpio comme l’allié du roi Marsile et des Musulmans. Donc les Espagnols auraient été, avec les païens, les auteurs de ce guet-apens dressé contre une nation sœur, contre un peuple et un roi très-chrétiens ! Il est vrai que, pour raccommoder les choses et effacer un peu l’odieux de ce vilain conte, Alfonse X suppose une seconde expédition de Charles en Espagne qui, du moins, aurait été victorieuse, et tout se termine par l’élévation de Bernard del Carpio au trône d’Italie. C’est le roi des Franks qui prend ce traître par la main et lui met cette couronne sur la tête… Tel est le Roncevaux[4] espagnol. C’est ingénieux peut-être, mais à coup sûr méprisable. Aussi cette version ne réussit-elle qu’à moitié dans le pays même qui avait le plus intérêt à l’adopter. Sans nous y arrêter plus longtemps, nous entrons ici dans la troisième période de cette histoire. C’est celle des Romances[5]. Il sera toujours difficile de

  1. Il mourut en 1247.
  2. Rodericus Toletanus, Rerum in Hispania gestarum Chronica, lib. IV, cap. x et xi.
  3. De 1252 à 1284.
  4. V. la Cronica general, éd. de Valladolid, 1604, fo 32, et 115 vo.
  5. M. Francisque Michel a publié les romances suivantes : Un gallardo pelerin (Roland, 1re éd., p. 245). — En los canpos de Alvenlosa (p. 246). — Cuando de Francia partimes (p. 249). — Per muchas partes (p. 250). — En Paris esta dona Alda (p. 251). — Mala la visteis, Franceses (p. 253) ; puis, les romances de Bernart del Carpio (pp. 259-275). ═ Dans sa Silva de Romances viegos (1831), J. Grimm avait, cinq ou six ans plus tôt, publié ces trois romances sur Durandal : Por el rastro de la sangre que Durandarte dexava… — O Belerma, o Belerma, por mi… — Durandarte, Durandarte, buen cavallero provado… » (V. dans Primavera y flor de Ro-