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HISTOIRE D’UN POEME NATIONAL

vêque de Sens, comme le modèle de notre traître épique[1]. En réalité, les deux personnages ne se ressemblent que de très-loin. Ce triste prélat qui trahit la cause de Charles le Chauve pour embrasser le parti de Louis le Germanique et que Charles fit condamner au concile de Savenières en 859, est une bien pâle et bien pauvre figure en comparaison de notre Ganelon. Rien, rien de commun entre ce soldat haineux et cet évêque fluctuant. Ne nous attardons pas dans ces assimilations sans profondeur. C’est de la petite critique : élevons nous plus haut. À nos yeux, Ganelon est le type général du Traître, et doit sans doute son nom à sa fonction, à son rôle lui-même. L’imagination a fait le reste ; car enfin, par certains côtés, nos légendes sont des romans… D’ailleurs, la punition de Ganelon ne fut pas moins réclamée que celle des Sarrazins par l’indignation du bon sens populaire. Il a donc fallu le sacrifier aussi à ces exigences très-légitimes : de là son jugement et sa mort.

Désormais la Légende est complète. Vienne un grand poëte pour la fixer et pour l’écrire !


IV. — résumé sur l’origine et les éléments de la chanson


Notre lecteur maintenant peut répondre à cette question si longuement controversée : « Quelle est l’origine de l’Épopée française ? »

La question étant complexe, la réponse doit l’être aussi.

Il convient tout d’abord de faire la part à l’élément humain. Ces types universels du Traître, de l’Ami, du Vengeur, apparaissent dans la littérature de toutes les races. La Bible nous les offre aussi bien que le Ramayana ; les Sémites nous les présentent aussi bien que les Aryens. La race, le climat, le

  1. F. Génin, la Chanson de Roland, Introduction, p. xxv-xxviii.