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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

fait vertuz sont la traduction de ces paroles liturgiques que nous avons citées ailleurs : Ægidius miraculorum coruscans virtutibus[1]. Dans la Karl Magnus’s Kronike, qui est le résumé populaire en langue danoise de la Karlamagnus saga islandaise, le nom de saint Gilles est mêlé à l’énumération des prodiges qui annoncèrent la mort de Roland. « Il se fit aussi obscur que s’il eût été nuit. Saint Gilles dit que ce miracle arrivait à cause de Roland, parce qu’il devait mourir ce jour-là[2]. » On voit, par tout ce qui précède, que l’intervention de saint Gilles dans notre poëme est absolument légendaire...

Passons à Théroulde.

M. Génin n’a pas craint d’imprimer en gros caractères, sur la première page de son édition du Roland : La Chanson de Roland, poëme de Théroulde. Il s’appuie sur le dernier vers de notre poëme : Ci falt la geste que Turoldus declinet, et part de là pour attribuer notre chanson à un certain Théroulde, bénédictin de l’abbaye de Fécamp[3], auquel le roi Guillaume, après la bataille d’Hastings, donna l’abbaye de Malmesbury, qui fut transporté en 1069 à celle de Peterborough et mourut en 1098[4]. Que ce Théroulde fût un moine médiocre et un homme énergique, je n’en doute pas, et M. Génin n’a pas eu de peine à consacrer vingt pages très-animées à cette intéressante biographie. Mais que l’on puisse, en faveur de ce Théroulde, comme auteur de notre Roland, alléguer seulement un centième de preuve véritable et directe, c’est ce qu’on ne fera point. M. Génin n’essaie que d’un seul argument : « Dans l’armoire aux livres de la cathédrale de Peterborough, il existait, dit-il, deux exemplaires de la Guerre de Roncevaux en vers français. » Et il ajoute : « Comment ces manuscrits se trouvaient-ils là ? Apparemment ce n’étaient pas les moines saxons qui les y avaient fait venir. N’est-il pas plus croyable qu’ils avaient été

  1. V., pour plus de détails, la note du v. 2,096.
  2. Édition de Copenhague, en 1867, p. 130.
  3. Ou à son père, précepteur de Guillaume le Conquérant.
  4. La Chanson de Roland, poëme de Théroulde, Introduction, p. lxxv-lxxxiii.