Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/10

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escadre, qui s’avancent sur une seule ligne, poussés par une brise régulière, et sont assez proches l’un de l’autre pour ne pas se perdre de vue, même dans la demi-obscurité.

À bord du vaisseau amiral, plus haut que les autres et qui amasse plus d’ombre autour de lui, deux jeunes officiers, accoudés au bastingage, causent à voix basse.

Autour d’eux les manœuvres s’accomplissent presque en silence. Le battement de la toile, quand la brise mollit, le léger sifflement des cordages, le craquement de la carène sont les seuls bruits qui se mêlent au murmure continu de l’eau, déchirée par la proue.

Parfois, cependant, une poulie jette un grincement qui fait l’effet d’un cri.

Quelques lumières apparaissent au bord de l’horizon qui semble proche ; rousses et troubles à côté du scintillement bleu des étoiles, elles sont disposées irrégulièrement à des hauteurs différentes.

— Madras ! dit l’un des officiers à son compagnon.

— En sommes-nous loin ?

— À une lieue peut-être. Et le jeune homme ajoute en riant tout bas : Ils dorment sur leurs deux oreilles, ces bons Anglais, et presque tous ont déjà soufflé leur chandelle ; c’est pourtant là, je gage, leur dernière bonne nuit ; les trois cents bouches de nos canons leur chanteront demain l’aubade.

— Connaissez-vous le plan d’attaque, monsieur de Kerjean ?

— Pas plus que vous, mon cher Bussy ; mais il est