Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/101

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Dupleix avec une expression douloureuse, il est à peine croyable que ce soit celui qui compte dans sa vie tant de grandes actions, le fondateur de la colonie de Bourbon, qui vient de nous donner un aussi désolant spectacle. J’ose à peine vous dire par quel crime il clôt cette campagne.

Et Dupleix regarda autour de lui pour voir si la salle était vide.

— Le croiriez-vous, messieurs, continua-t-il en baissant la voix, pour se tirer d’affaire, il a commis un véritable faux ! il s’est permis d’intercaler dans le traité de rançon un article déclarant que le gouverneur anglais et son conseil cesseront, afin de pouvoir traiter, d’être prisonniers de guerre au moment où ils entreront en négociations. Cela fait, il affirma aux Anglais que le gouvernement de Pondichéry s’engageait à restituer Madras moyennant onze cent mille pagodes, et que l’évacuation était fixée en janvier. Or, il avait dans sa poche à ce moment même la lettre par laquelle nous rejetions définitivement cet arrangement.

— C’est monstrueux ! s’écria Kerjean.

— Maintenant il rassemble en hâte les débris de son escadre et, sachant fort bien qu’il dupe les Anglais et que nous ne tiendrons pas ses promesses, il part, ou plutôt s’enfuit, emportant son butin, et couvert de malédictions, lui que nous avons reçu comme un messie ! Ah ! ajouta-t-il avec un soupir, la conquête de Madras nous coûte cher et nous laisse en face d’un abîme ; mais c’est néanmoins une victoire importante, et il faut nous en réjouir, ostensiblement.