Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/160

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appelons l’Empereur. C’est, soi-disant, le souverain maître de l’Inde, le juge suprême, le roi des rois. Tout vient de lui et retourne à lui. Il réside, là-bas, au diable, à Delhi, dans une ville magnifique, mais ruinée à moitié. Le Grand Mogol actuel s’appelle Achmed-Schah. Sa cour est un nid d’intrigues, de conspirations, il se cramponne à son trône, que plusieurs prétendants convoitent, sans compter les Mahrattes et autres.

— Je comprends le Grand Mogol, dit Bussy, la clé de voûte, le sommet de la pyramide un peu branlante.

— Parfaitement. Mais ce pays mal soumis et vaste comme la moitié de l’Europe, un seul homme ne peut pas le diriger. C’est pourquoi il est divisé en Soubabs ou gouvernements, ayant pour chefs les Soubadars, que nous appelons Soubabs pour avoir plus tôt dit.

— J’y suis maintenant : le gouvernement, encore trop vaste, est divisé en provinces, de là les Nababs.

— C’est cela : Soubabs et Nababs, d’abord simples officiers du Grand Mogol, ont naturellement secoué le joug le plus possible, et sont devenus de véritables rois, ayant divan, vizir, armée et trésors. La politique, dans le principe, est des plus simples : toucher les impôts. Le Nabab vole le Soubab, qui vole l’Empereur ; celui-ci est souvent obligé de faire la guerre pour être payé.

— À ce que je vois, pour les complots et les intrigues, les cours des Nababs et Soubabs n’ont rien à envier à celle de Delhi.

— On n’a pas idée de pareils coquins, dit Kerjean en riant ; ils passent leur temps à s’entr’égorger.