Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/184

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sorte d’égarement, tant son esprit était loin du salon de Dupleix, où on le ramenait brusquement. Il eut un tressaillement de surprise ; le prince Salabet-Cingh, tout resplendissant d’or et de pierreries, debout devant lui, le regardait en souriant ; il s’appuyait d’une main à l’épaule d’un tout jeune homme qui était Aly-Résa, le fils de Chanda-Saïb.

— Le prince très illustre qui nous éclaire de sa présence, dit Aly-Résa, était curieux de te connaître, car il a entendu partout chanter tes louanges, pendant la guerre.

— La bégum m’a dit que tu parles notre langue, dit Salabet-Cingh. J’aime beaucoup les Français, mais tu es le seul à qui je puisse le dire sans interprète. Aussi je serais heureux d’être ton ami.

Son ami ! Bussy avait envie de lui crier qu’ils étaient rivaux et qu’il le haïssait. Mais c’était l’hôte de Dupleix et un pareil esclandre eût été odieux. Il parvint à se maîtriser et s’inclina profondément.

— Un pareil honneur est trop au-dessus de moi, dit-il.

— Laisse-moi t’appeler Bâhâdour[1], continua le prince, personne n’est plus que toi digne de ce titre ; et faisons dès à présent un pacte d’amitié. Donne-moi le nœud de ton épée, veux-tu ?

Bussy était abasourdi ; mais le prince parlait d’une voix si douce, qu’il n’y avait pas moyen de lui répondre par un refus ; il défit donc l’écharpe blanche, frangée d’or, qui ornait la poignée de son épée, et la donna à

  1. C’est-à-dire héros.