Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/239

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— Te tuer, non pas ; tu es bon soldat et tu me serviras encore. Emmène-le, dit-il au bourreau, et coupe-lui le nez.

L’homme fut entraîné, criant, se tordant les bras, mais, par une autre porte, on amenait un énorme pourceau, couronné de fleurs, et le roi battit des mains.

L’animal s’arcboutait, poussant des cris aigus, ne voulant pas avancer ; on tirailla corde, et ses ongles glissaient sur les dalles lisses.

Le Soutien du Monde se tordait de rire ; il s’était remis dans la balance ; son turban, d’un arrangement compliqué, surmonté d’un plumet mêlé de diamants, s’en allait de travers, et ses mains, chargées de bagues, se cramponnaient de plus en plus aux cordes de soie, car une lutte terrible avait lieu pour faire entrer la rose et puante bête dans l’autre plateau, et des secousses violentes faisaient tressauter le monarque.

À la grande hilarité des assistants, le roi et le pourceau se trouvèrent d’un poids égal, et en signe de joie Nasser vida une autre coupe de cognac ; puis il voulut qu’on en fît boire de force au cochon.

La défense fut hideuse, la bête hurla, trépigna, souillant d’ordures les seigneurs et les riches tapis.

Plusieurs umaras, qui étaient restés graves au milieu des rires des courtisans, échangèrent entre eux des regards irrités, et l’un après l’autre sortirent de la salle.

Dans l’une des cours, ils virent l’homme qu’on venait de mutiler : un linge sanglant en travers du visage,