Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les regards fixes, les lèvres décolorées, et, bien qu’il n’y eût pas le moindre bruit, se bouchant les oreilles de ses mains crispées. Quand elle me vit, ses yeux s’élargirent encore.

« — C’est fini, il est mort ? dit-elle.

« — Viens voir, m’écriai-je en m’emparant d’une de ses mains, qui était glacée.

« Et je l’entraînai à travers les galeries. Elle résistait par moments, me tirant en arrière, puis elle s’abandonnait, toute chancelante. Sur le seuil du salon d’ivoire, elle eut un sanglot et ferma les yeux.

« — Ah ! dit-elle, je l’ensevelirai de mes mains ; je le coucherai sur un lit de jasmin, et ce palais incendié sera son bûcher.

« Le candélabre d’or brûlait encore, des gémissements, des plaintes faibles s’exhalaient. Elle regarda, cherchant ton cadavre.

« — Où est-il ? demanda-t-elle. Qui a fait ce carnage ?

« — Demande-le à ceux qui survivent.

« Un homme était adossé au mur, d’une main serrant son flanc, d’où le sang s’échappait entre ses doigts.

« — Reine, dit-il, nous avons fait notre devoir jusqu’au bout, nous avons lutté jusqu’à la mort.

« Un blessé se releva sur ses mains :

« — Tu ne nous avais pas dit que tu nous donnais un dieu à combattre.

« — Un dieu !

« — Son épée était tantôt une vipère furieuse, tantôt la foudre, nous ne pouvions lui échapper ;