Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/258

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précision ; on s’abritait le mieux possible et on ripostait activement avec les quatre pièces et les mousquets ; néanmoins, la situation était des plus graves ; que deviendrait-on au jour, quand les forts des montagnes et les remparts de la ville pourraient foudroyer, en toute sûreté, cette poignée de soldats à découvert ? Il faudrait donc reculer, redescendre vers la plaine ? Avec un chef comme Bussy cela était inadmissible. C’était donc les trois forteresses, avec leurs ceintures de redoutes, qu’il fallait prendre !

Le premier quartier de la lune brillait dans le ciel, et l’on maudissait, ce soir-là, cette merveilleuse limpidité des nuits indiennes. La clarté bleue, coupée d’ombres anguleuses et nettes, était traversée continuellement par des jets pourprés et couleur de soufre ; les fumées s’illuminaient, s’argentaient en floconnant, et les projectiles, venant d’en haut, semblaient des comètes et des météores.

— Quand la lune sera couchée, disait Bussy, nous donnerons l’assaut, l’obscurité non seulement nous protégera, mais encore nous préservera du vertige.

Il divisa ses hommes en trois détachements.

— Kerjean commandera l’un et enlèvera le pic de l’ouest, dit-il. Puymorin conduira le second et attaquera celui de l’orient. Moi je me réserve le meilleur morceau, qui est la montagne du Nord.

On attendit, sans cesser le tir des pièces, et cette attente donnait une impatience extrême, comme une fièvre d’action.

Enfin la lune toucha le bord de l’horizon, elle perdit son éclat métallique, devint couleur d’orange.