Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/26

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La Bourdonnais, et de le suivre dans les Indes, au milieu des séductions de Paris la petite fortune s’était à peu près fondue.

Le nom de l’Inde avait toujours eu pour le jeune marquis quelque chose de magique. Ce pays lui apparaissait comme une terre mystérieuse, une création supérieure, chef-d’œuvre de la nature, paradis primordial dont l’humanité accrue avait débordé comme d’une coupe trop pleine. Il l’aimait, sans la connaître, comme une patrie, et il y avait dans cet amour, peut-être, le pressentiment que sa destinée devait s’accomplir là. Esprit avide et ardent, habitué au travail, il avait employé les longs mois où la mer le roulait de lame en lame, à apprendre la langue de l’Inde. À travers les monotones et brûlantes journées de calme, dans les hurlements du vent et les chocs de la tempête, il s’était acharné, avait étudié les monstrueuses théogonies, s’était enivré aux splendeurs des poèmes sacrés. Mais cette patrie d’élection s’était reculée devant son désir, et les tragiques aventures de son voyage lui semblaient s’être dressées pour lui barrer la route, comme les monstres qui défendent l’approche d’un trésor.

Depuis plusieurs jours, enfin, Bussy foulait le sol sacré de l’Inde, et il lui paraissait reculer encore devant lui. Qu’avait-il vu jusqu’alors en effet ? Une ville européenne assez triste, que les Anglais appelaient le Londres indien ; des uniformes, des physionomies britanniques ; il avait entendu des coups de canon et donné des coups d’épée. Pourtant il gardait la foi en son rêve ; l’éclat inusité du ciel et la splen-