Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/288

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taines me laissaient entrevoir l’image de mœurs et de sentiments inconnus ; elles me donnèrent l’envie de connaître ta race, la curiosité d’apprendre des choses ignorées. Cela me décida à quitter un royaume où mon influence, combattue à toute heure, chancelait, prête à crouler, où il me fallait même, pour être toléré, voiler mes pensées. Alors, je suis parti, j’ai connu Dupleix, j’ai découvert un monde nouveau, et mon esprit s’est tellement dégagé des anciens préjugés, que, moi, rajah et brahmane, je suis aujourd’hui ministre d’un prince musulman.

— Se peut-il qu’à cause de moi tu aies quitté la divine reine de Bangalore, et que tu puisses juger heureuse une destinée qui t’éloigne d’elle ?

— Certes, qui l’a connue ne peut l’oublier, dit le brahmane, avec un soupir ; bien souvent je la regrette, et aussi ma chère Lila, sa fidèle. Mais j’aime mieux, au prix de quelque tristesse, garder dans mon cœur une image parfaite de cette reine, dont j’avais formé l’esprit, que de voir sous mes yeux mon œuvre faussée, détruite peut-être, par l’influence pernicieuse d’un ennemi sournois. Mais laissons ceci, nous aurons, j’espère, le loisir d’en reparler. J’implorais une grâce du gouverneur, et je compte beaucoup sur toi pour m’aider à l’obtenir.

— C’est vous-même, mon cher Bussy, qu’on me demande, dit Dupleix, et vous comprenez combien j’hésite à répondre. Le soubab va gagner Aurengabad, la capitale de son royaume, et par la voix de son ministre me supplie de lui laisser emmener, comme garde d’honneur, un corps de troupes fran-