Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/304

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le reflète, mais on ne l’aperçoit même plus, quand revient le porte-lumière ; ainsi tu ne pourras plus me supporter, quand je t’aurai dit ce que je ne disais pas.

— Qu’est-ce donc ? demanda-t-il avec un regard brillant d’espoir.

— C’est que la reine est à quelques pas d’ici, et qu’elle veut bien que tu l’aperçoives, un instant.

— Elle y consent ! Ah ! c’est la première faveur qu’elle m’accorde sans contrainte.

— Hélas ! que tu m’épouvantes avec ces pâleurs subites, qui font croire que la vie t’abandonne, s’écria Lila, qui avait saisi la main du jeune homme, par un mouvement involontaire.

— Vois-tu, il faudra que je meure de cet amour, dit-il, tant sont violents les joies et les désespoirs qui me viennent de lui. Mais j’en vivrai aujourd’hui. Conduis-moi vers elle, je t’en conjure.

Restée seule, Ourvaci s’épouvantait de l’émotion dont elle était agitée et qu’elle ne pouvait parvenir à vaincre ; un tumulte de pensées se heurtait dans son esprit et elle revoyait, dans un vertigineux défilé, toute son existence, uniquement emplie par cet homme, depuis cette chasse où elle avait failli périr ; haines, mépris, projets meurtriers, obsessions, lui, toujours lui, en avait été le but,

— À quoi bon chercher à me tromper ? se disait-elle, il est certain que je suis perdue ; la souillure a pénétré jusqu’à l’âme, il n’y a plus de remède, et il le sait, lui ; il connaît le secret que j’étouffe dans mon cœur et qu’il aurait dû ignorer toujours. Ah ! pour-