Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/397

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sable barrière de mitraille a toujours arrêté son élan. Maintenant, toute l’armée est réunie, avec son roi, Balladji-Rao, au milieu d’elle, à une journée de marche des Français, et une bataille décisive est imminente. Mais, pour l’instant, un danger plus grave que celui des combats menace le monde et agite tous les esprits ; les astrologues l’ont prédit : Rahou, le monstre sans corps, va dévorer la lune.

L’on fait tout ce bruit pour l’effrayer et l’éloigner de sa victime, qui, toute pâle, roule dans le ciel limpide comme fuyant, épouvantée. Mais déjà le dragon avide l’atteint ; sa gueule noire vient de saisir le bord de la courbe pure et brillante, les dents cruelles la mordent, l’échancrent ; Tchandra ne peut plus échapper, Rahou ne la lâchera pas, il l’avalera, plongeant ainsi le monde dans la nuit.

Alors des invectives, des imprécations éclatent, mêlées à des hurlements de désespoir, croissant à mesure que l’astre disparaît entre les mâchoires du monstre.

— Va-t’en ! va-t’en, hideux vampire ! mauvais génie qui traîtreusement te glissas parmi les dieux, tandis qu’ils barattaient la mer !

— Infâme voleur ! tu leur dérobas un peu de l’amrita d’immortalité, afin de ne pas mourir.

— Mais les deux yeux du ciel, l’œil d’or et l’œil d’argent, t’ont reconnu et dénoncé.

— Alors, Vichnou furieux t’a tranché la tête, et elle roule dans l’espace loin de ton corps.

— Et tu poursuis sans cesse ceux qui t’ont trahi, pour te venger en les dévorant.