Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/420

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Salabet-Cingh se jeta dans les bras de Bussy, qui fit un violent effort pour lui montrer un visage souriant.

— Ah ! mon frère ! s’écria le jeune roi, en pleurant d’émotion, te voir vivant, voilà pour moi la vraie victoire, celle pour laquelle j’aurais donné avec joie toutes les autres.

— Ton cœur ne s’est pas un instant démenti, je le sais, dit Bussy ; toi seul excusais ma démence, t’en attristant au lieu de t’en irriter ; aussi je me suis arraché des bras de la mort, pour venir défendre ton trône, que des traîtres voulaient renverser.

— Que je suis heureux d’être de nouveau sous ta protection ! dit le roi.

— Elle ne te fera pas défaut tant que je vivrai ; sois vigilant, néanmoins ; le pire des traîtres est plus près de toi que tu ne penses.

Rien n’était plus pitoyable à voir que la contenance du ministre, Seid-el-Asker-Khan, qui croyait entendre son arrêt de mort à chaque parole de Bussy ; il devenait vert, puis pourpre, et les efforts qu’il faisait pour cacher son épouvante redoublaient son trouble. Depuis quelque temps déjà, cependant, en voyant celui qu’il avait voulu tuer, devenir plus redoutable que jamais, il rampait à ses pieds, lui écrivant les lettres les plus soumises, s’humiliant jusqu’à la servilité. Le marquis était résolu, abandonnant sa vengeance personnelle qui lui importait peu, à faire servir cette terreur aux intérêts de sa politique. Le vizir, pour conjurer la menace, toujours suspendue sur lui, serait heureux de prévenir les moindres désirs du général, qui les lui