Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/422

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Il l’atteignit enfin ce palais, et disparut en effet. Avide de solitude, il s’y enfonça comme un fauve blessé qui veut se cacher pour mourir. Gagnant la chambre persane, il éloigna Naïk d’un geste et s’enferma.

Celait la première fois, depuis bien des jours, qu’il était libre de souffrir sans contrainte, d’exhaler dans des cris rauques cette douleur qui, contenue, le dévorait. Il n’avait pas osé s’interroger encore et demeurait plongé dans cet état d’hébétement atroce qui saisit celui qui vient de tuer par mégarde un être cher.

Il ne comprenait plus ce qui l’avait poussé à agir avec cette précipitation de fou ; blessé dans son orgueil, se croyant trahi par celle qui était toute sa vie, un tourbillon de fureur et de désespoir l’avait d’abord aveuglé ; puis il avait senti en lui un vide affreux. Son cœur lui avait paru mort à jamais, comme brûlé par la foudre ; mais pourquoi en jeter les cendres à cette jeune fille qui l’aimait et qu’il n’aimait pas ? pourquoi avait-il demandé la main de Chonchon ? S’était-il élancé vers elle comme vers un refuge, se souvenant de lui avoir entendu dire un jour, qu’elle serait heureuse, même sans être aimée, de vivre auprès de celui qu’elle aimerait ? Non, il avait plutôt voulu, contre le retour possible d’une faiblesse, créer un infranchissable obstacle, et se donner l’amer plaisir, ayant reconquis sa renommée, de dédaigner celle qui l’avait fait tomber du faîte de sa gloire, pour le tuer ensuite.

Mais, maintenant, des doutes lui venaient. Rien ne prouvait qu’elle fût coupable. Le poison avait-il engourdi son esprit au point de lui faire oublier les