Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/439

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La route fut longue et pénible ; il fallait fendre des flots vivants, obstruant volontairement le passage, et opposant une molle inertie aux coups de bâton et aux charges de cavaliers. Quelquefois, la haie des gardes était rompue, et des groupes s’élançant venaient se traîner à genoux, aux côtés de la litière.

— Reine ! reine ! ne nous quitte pas ! criait-on. Que deviendrons-nous sans toi ? Habitués à ta main bienfaisante, tout autre joug que le tien nous écrasera.

— Nous t’aimerons tant que nous te ferons oublier ton chagrin, reste ! reste ! Tu te dois à nous ; renonce à cette mort cruelle ; fais grâce à ton peuple qui veut périr avec toi !

On s’attachait aux porteurs, les suppliant de ne pas avancer, tandis qu’elle se rejetait au fond de la litière en pleurant.

Le ministre, plein d’inquiétude, fit donner l’ordre aux soldats de disperser la foule à coups de lance. Il y eut des cris, des plaintes, et le sang coula sur la poussière, mais la route était libre, et l’on arriva bientôt sous les ombrages de la nécropole royale.

Le bûcher, en bois de santal, était dressé sur une place découverte, à l’endroit même où s’élèverait plus tard le monument funèbre de marbre et d’or. À chaque coin, un esclave tenait une torche allumée.

En apercevant tout à coup cet effrayant monceau de poutres et de broussailles, Ourvaci, dans un invincible mouvement d’horreur, se rejeta en arrière en couvrant son visage de ses mains. Mais sa fierté lui rendit vite le courage, elle releva la tête d’un geste brusque, et regarda sans faiblesse le lieu du sacrifice.