Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/61

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magasins, du trésor, et les livres de la compagnie aux commissaires royaux ; mais vous avez préféré remettre les clés à monsieur votre frère.

Le commandant eut un soubresaut et poussa un rugissement de fureur.

— Si je croyais quelqu’un capable de me soupçonner moi et mon frère, s’écria-t-il en serrant les poings, je lui casserais la gueule, je l’éventrerais, je le foulerais sous mes talons !…

Et le marin, hors de lui, lâcha une bordée de jurons que le dernier des matelots n’eût pu surpasser comme grossièreté et violence.

M. Friel ne se déconcerta pas et répliqua en haussant un peu le ton.

— Si l’on vous soupçonne, vous monsieur, je n’en sais rien, mais pour monsieur votre frère, il n’est que trop connu ici. Vous auriez mieux fait de donner la clé du trésor au dernier officier plutôt qu’à lui. Le livre de la caisse ne se trouve pas, voilà une assez forte présomption contre lui, pour ne pas dire une preuve concluante.

La Bourdonnais fit un mouvement comme pour s’élancer sur Friel, mais sa colère tomba subitement en voyant entrer un messager.

Ce messager apportait une lettre de Dupleix.

Le commandant s’assit à sa table pour la lire.

Dans cette lettre, tout entière de sa main, le gouverneur de l’Inde suppliait encore une fois La Bourdonnais, dans les termes les plus touchants, de renoncer à ce traité illusoire et si funeste aux intérêts de la France. Il lui parlait comme un frère à son frère et