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le collier des jours

mières me cajolaient et me poursuivaient d’insidieuses et d’indiscrètes questions.

On me demanda une fois, s’il était vrai que mon père avait deux femmes !… Je répondis, sans hésiter (je ne sais où j’avais pris cette réponse péremptoire) : « Qu’il pouvait bien en avoir deux, si cela lui plaisait, puisqu’il était Turc. » Turc !… J’étais donc une païenne, alors ? Cela se voyait bien, à mon absence complète de dévotion…

L’idée d’être Turque ne me blessait en rien ; j’étais même persuadée que j’avais été en Orient et je donnais, au sujet de ce voyage imaginaire, tous les détails que l’on voulait, et qui, par extraordinaire, étaient exacts. La cause de cette bizarrerie est sans doute très explicable, mais elle m’échappe complètement.

Parmi les religieuses qui me détestaient, il y en avait une, qui me produisait une impression indéfinissable. Quand elle était présente, je l’épiais continuellement sans pouvoir m’en empêcher, et elle s’en apercevait, car bien souvent, son regard irrité se heurtait au mien et c’était un choc dont je ressentais vraiment la secousse.

Cette religieuse était jeune, comme une novice, bien qu’elle portât le voile noir. Elle était grande, — très grande — mince et souple, pleine de brusquerie, cependant, dans ses gestes