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le collier des jours

Pour les autres, je savais être aimable, si l’on était doux avec moi. Je me laissais embrasser, mais je n’embrassais pas, et il était impossible de me faire dire que j’aimais. Tout ce que l’on pouvait obtenir, en mettant à ce prix quelque friandise convoitée, était par exemple :

« Je t’aime, pomme », ou « Je t’aime, confiture ».

Mais : Je t’aime, tout court ; jamais.

Le rez-de-chaussée de la maison était habité par un vieux soldat de Napoléon, le père Rigolet. Il avait été canonnier, ce qui expliquait sa surdité presque complète. Il vivait là, avec sa femme, sa fille mariée et les enfants de cette fille. Elle s’appelait Florine et était repasseuse, ce qui me rappelait Marie. À cause de cela, j’étais attirée vers cette famille. Florine avait un garçon d’une quinzaine d’années et une petite fille de cinq à six ans, qui devint bientôt ma camarade.

Cette liberté que l’on m’avait laissée dans les premiers temps, il fut bien difficile de me la reprendre. Le grand air, le jardin, la prairie surtout, je n’en étais jamais rassasiée ; quand on me faisait rentrer, par l’appât de quelque tartine, je trépignais d’impatience si on ne me laissait pas aussitôt ressortir.

En somme, le jardin n’offrait pas de danger