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le collier des jours

les lointains violets et troubles de la grande plaine. Moi qui, jusque-là, était plutôt trop audacieuse et que rien ne retenait, j’avais maintenant une crainte sérieuse, le sentiment d’un danger très redoutable, venant de cet inconnu, où j’aimais tant aller à la découverte. Le jour, j’étais assez intrépide encore ; on m’avait dit que le loup ne sortait du bois que le soir ; mais je prenais bien garde à la venue du crépuscule, et, si je m’étais attardée, je me hâtais vers la maison, en jetant derrière moi des regards pleins d’anxiété.

D’ailleurs, les tantes, dont la méthode d’éducation n’était peut-être pas des plus recommandables, s’ingéniaient à me faire peur : à tout propos elles me criaient « Au loup ! au loup ! »

Tante Lili se déguisait en fantôme, en se couvrant la tête d’un drap et me menaçait d’une voix caverneuse ; et, quand il faisait de l’orage, tante Zoé me donnait l’exemple d’une fuite épouvantée au fond d’un cabinet noir.

Ces façons d’agir, si elles m’impressionnaient, nuisaient aussi aux sentiments de déférence que des ascendants auraient dû m’inspirer, peut-être ; je considérais plutôt mes tantes comme des camarades, avec lesquelles je vivais en très bons termes, tant qu’elles ne s’avisaient pas de vouloir m’imposer une autorité.