Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/234

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est là de toutes parts ; les sauvages guerriers se vautrent, crient, chantent, boivent du vin de riz mêlé de poudre, ou, ivres, dorment en monceaux humains, qui sont pareils à des troupeaux de grands bœufs couchés.

La tente de Ta-Kiang se dresse en face de la porte principale de Sian-Hoa, et les grands mâts en bois de cèdre qui l’entourent élèvent plus haut que les murailles des bannières soyeuses où on lit en caractères d’or : « En haut les Mings ! en bas les Tsings ! » Vaste et superbe, elle est en toile d’argent que voile un léger papier huilé, transparent et imperméable ; les draperies de l’entrée, pompeusement relevées, laissent voir une somptueuse doublure de satin jaune d’or et le Dragon Long, accroupi sur un globe de cristal qui brille au sommet de la tente, est visible de tous les points de l’horizon.

Ta-Kiang a dompté ces aventuriers farouches et superstitieux. Pour eux, il est bien le Frère Aîné du Ciel, l’Égal des Immortels, le Seigneur du Monde. Lorsqu’il passe, tous se prosternent, n’osant voir sa splendeur. Lorsqu’il parle, tous sont immobiles de terreur et de respect. Il est leur père et leur dieu ; il a comblé les désirs, réalisé les rêves. Koan-Ti, le Roi des Batailles, est son frère cadet : il est le formidable, le triomphateur ; ses pas ébranlent l’empire ; son souffle renverse les cités ; il autorise le pillage et ordonne l’orgie, tout en restant inaccessible, grave, immuable au milieu des joies tempétueuses de son armée, comme le grand rocher calme et pensif au milieu de la mer frénétique. Et ces hommes