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le second rang du collier

Mon père, moins que personne, n’aurait consenti à s’asseoir à une table où l’on eût été treize. Il était convaincu que le plus jeune des assistants devait mourir dans l’année, et, à l’appui de cette certitude, il racontait maintes aventures probantes. Aussi avions-nous en réserve un petit quatorzième, qui paraissait, seulement, au moment où tout espoir de voir venir un nouveau convive était perdu.

Ce quatorzième, fils du père Husson, le jardinier, habitait, avec sa famille, le petit pavillon de la cour. La mère Husson, femme adroite et active, venait chez nous aider à la cuisine, le jeudi. Elle était avertie tout de suite et allait, en un tour de main, revêtir son fils d’un costume que mon père lui avait fait faire tout exprès. Le jeune Edmond, gentil garçonnet de quatorze à quinze ans, intimidé et légèrement ahuri, paraissait avec le potage ; il s’asseyait au bout de la table et, très correct, tenait sa place avec une convenance parfaite.

Le dîner était simple et copieux. On y voyait figurer souvent des plats spéciaux, exécutés avec art. Une heureuse alliance de la cuisine italienne et de la cuisine française y donnait une assez grande variété.

Théophile Gautier, comme il le disait lui-même, était gourmet et gourmand, et savait cuisiner admirablement quand il le voulait, avec des raffinements et des complications infinies. Il trouvait l’art de Vatel très dégénéré : on n’y apportait plus