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le second rang du collier

du gouvernement de la maison. Je sentais tout le poids d’une telle responsabilité, et je m’appliquai à remplir de mon mieux cette mission de confiance.

À notre grand chagrin, Marianne, la gentille alsacienne, depuis si longtemps a notre service, s’était mariée. Un peintre en bâtiments, beau brun, aux moustaches provocantes, qui, tout en badigeonnant les persiennes, chantait d’une voix traînarde et sentimentale des romances de Gounod, avait enflammé le cœur romanesque de la brave fille. Ce bellâtre, qui la guettait, depuis des mois, comme une proie, ne nous revenait pas du tout ; mais il est inutile d’essayer de convaincre les gens épris… Théophile Gautier fut témoin à la mairie et conduisit à l’autel, dans sa jolie robe blanche, celle qui, pendant plus de dix années, l’avait servi avec dévouement ; Marianne rayonnait de bonheur, et un peu d’orgueil se mêlait à sa joie, car elle croyait épouser un artiste.

Hélas ! le beau peintre, comme nous l’avions pressenti, n’était qu’un affreux chenapan, amoureux seulement de la petite dot, si patiemment amassée. Un mois après la noce, il traînait la malheureuse par les cheveux, la dépouillait de tout, et l’abandonnait, en lui déclarant qu’il était bigame !… Marianne, désolée et honteuse, s’enfuit en Alsace, pour accoucher.

Plusieurs cuisinières s’étaient succédé à la mai-