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le second rang du collier

fend vigoureusement. Malgré sa jeunesse, il n’est pas facile à émouvoir : embarqué mousse à quinze ans, il a déjà fait deux fois naufrage ; la dernière, il est resté pendant quarante-huit heures ballotté par les lames, cramponné à un bout de planche. Il pratique une boxe savante et répond aux coups d’échalas par des coups de poing en pleine figure : des yeux sont pochés, le sang coule. Mais le nombre des agresseurs augmente toujours. Edmond et Lucien se sont jetés dans la bagarre sans savoir de quoi il s’agit ; toutes les commères sont sorties du village invisible d’où, sans doute, depuis longtemps des paires d’yeux nous surveillaient ; elles glapissent, excitent les hommes, se lamentent sur le sort du malheureux poulain qui, lui, s’est tranquillement remis à paître : c’est une confusion inextricable.

Je cours à la voiture, y prendre un des fusils, et je reviens ; mais on ne le voit même pas, ce fusil ! Avec le canon, je laboure jusqu’à l’écorcher la poitrine nue d’un vieux paysan à figure de sauvage, qui hurle et s’acharne plus que tous les autres : je ne parviens même pas à détourner son attention, mais son fils, un grand gars de vingt-cinq ans, apercevant son père au bout d’un fusil, court sur moi et me tord le bras, pour me faire lâcher l’arme, dont il s’empare. Pécheux, haletant, les habits déchirés, la figure toute sanglante, semble à bout de forces : je retourne à la voiture et