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le second rang du collier

On pose sur le comptoir trois jolis bateaux en argent repoussé et on les emplit d’un liquide rouge clair.

L’homme nous regarde avec des yeux ronds ; il ne trouve pas tout de suite à quelle catégorie sociale nous appartenons : mon père, dans son complet du matin, en velours Montagnac gris-ardoise, coiffé d’un bonnet à pattes, pareil à celui de Dante ; nous deux, nu-tête, avec notre teint mat d’Italiennes… Il doit conclure que nous sommes des modèles ou des acteurs.

C’est bon, le ratafia ; mais il n’y a pas grand’chose dans ces drôles de petits vases, qui ressemblent à des soucoupes. Mon père, très enhardi (il n’y a plus personne dans le cabaret), s’écrie :

— Encore une tournée !

Il paie, et nous faisons une sortie majestueuse.

Très amusés de notre escapade, nous rentrons, en sourdine, par le jardin, et la maman ne se doute de rien.



— As-tu remarqué, me dit mon père, que Saint-Victor, quand il vient, ce qui est assez rare depuis que nous demeurons si loin, vient toujours accompagné de son paysage ?

— Son paysage ?

— Tu ne sais pas ce que c’est ?… En ce moment