Page:Gautier - Le Vieux de la montagne, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/140

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— Je ne gronde pas : je déplore seulement un défaut que nulle pénitence n’a pu amender.

— Cela passera, va, avec le temps, quoi que tu en penses… Donc, voilà ce que j’ai peine à confesser : Quand j’étais prisonnier du sultan, j’ai follement aimé et pris pour femme, en secret, la fille d’un prince musulman.

— Vous, le mari d’une païenne !

— D’après les lois de son pays, elle était ma femme ; mais, d’après celles du mien, je n’étais pas tout à fait son mari… Bref, le père découvrit trop tôt nos amours, et, à mon grand désespoir, la princesse me fut enlevée… Elle était grosse. C’est cela surtout qui me cause grand souci : je songe, avec effroi, qu’il est bien probablement de par le monde un fils de mon sang qui confesse Mahomet.

— Ah ! sire, voilà donc pourquoi le ciel vous frappe si cruellement en la personne du très vertueux prince Baudouin, votre héritier ! Hélas ! je comprends maintenant : si la lèpre affreuse menace son jeune corps, c’est pour vous faire souvenir qu’un autre enfant, né de vous, a l’âme rongée par la lèpre de l’impiété. Il faut, à tout prix, retrouver ce malheureux, menacé de damna-