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LE VIEUX DE LA MONTAGNE

— C’est passé ! Cette courte sieste m’a guéri, bien que mon sommeil ait été peuplé de rêves.

— De mauvais rêves, sire ? demanda Guillaume, archidiacre de Tyr, grand-chancelier du royaume, qui, assis auprès du roi, avait replié le manuscrit qu’il lisait, en voyant le souverain s’éveiller.

— Voudrais-tu expliquer les songes, comme le fit Joseph dans sa prison, au pays d’Égypte ? demanda Amaury, qui zézayait un peu en parlant. En ce cas, je t’avertis qu’il en est, parmi les miens, de fort aimables que je n’oserai guère exposer à un saint homme tel que toi.

Et le roi se laissa aller à un rire désordonné, qui secoua du haut en bas ses chairs opulentes et molles.

Amaury avait alors trente-six ans et régnait depuis dix années sur le royaume chrétien de Jérusalem. Il était beau et agile, en dépit de l’ampleur de son corps. Sa vaste poitrine, aux mamelles charnues, ses bras ronds, ses puissantes épaules, lui donnaient un aspect herculéen, et, malgré la carnation rose et blanche de son visage, où frisait une abondante barbe blonde, son expression était énergique et majestueuse, grâce à la forme aquiline du nez et à l’éclat du regard.