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LE CHÂTEAU DE LA MISÈRE.

avaient crû des joubarbes, des ravenelles et des artichauts sauvages.

Quant au jardin lui-même, il retournait doucement à l’état de hallier ou de forêt vierge. À l’exception d’un carré où se pommelaient quelques choux aux feuilles veinées et vert-de-grisées, et qu’étoilaient des soleils d’or au cœur noir, dont la présence témoignait d’une sorte de culture, la nature reprenait ses droits sur cet espace abandonné et en effaçait les traces du travail de l’homme qu’elle semble aimer à faire disparaître.

Les arbres non taillés projetaient en tous sens des branches gourmandes. Les buis, destinés à marquer le dessin des bordures et des allées, étaient devenus des arbustes, ne subissant plus le ciseau depuis longues années. Des graines apportées par le vent avaient germé au hasard et se développaient avec cette robustesse vivace, particulière aux mauvaises herbes, à la place qu’avaient occupée les jolies fleurs et les plantes rares. Les ronces, aux ergots épineux, se croisaient d’un bord à l’autre des sentiers et vous accrochaient au passage pour vous empêcher d’aller plus loin et vous dérober ce mystère de tristesse et de désolation. La solitude n’aime pas être surprise en déshabillé et sème autour d’elle toutes sortes d’obstacles.

Pourtant, si l’on eût persisté, sans redouter les égratignures des broussailles et les soufflets des branches, à suivre jusqu’au bout l’antique allée devenue plus obstruée et plus touffue qu’une sente dans les bois, on serait arrivé à une espèce de niche de rocaille