Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
143
CHEZ MONSIEUR LE MARQUIS.

En se considérant dans cette pure glace, curieusement encadrée d’écaille et d’étain, notre pauvre Baron ne put s’empêcher de se trouver fort mal en point et dépenaillé d’une manière lamentable. L’élégance de la chambre, la nouveauté et la fraîcheur des objets dont il était entouré rendaient encore plus sensibles le ridicule et le délabrement de son costume déjà hors de mode avant le meurtre du feu roi. Une faible rougeur, quoiqu’il fût seul, passa sur les joues maigres du Baron. Jusqu’alors il n’avait trouvé sa misère que déplorable, maintenant elle lui semblait grotesque, et pour la première fois il en eut honte. Sentiment peu philosophique, mais excusable chez un jeune homme.

Voulant s’ajuster un peu mieux, Sigognac défit le paquet où Pierre avait renfermé les minces hardes que possédait son maître. Il déplia les diverses pièces de vêtement qu’il contenait, et ne trouva rien à sa guise. Tantôt le pourpoint était trop long, tantôt le haut-de-chausses trop court. Les saillies des coudes et des genoux, offrant plus de prise aux frottements, se marquaient par des plaques râpées jusqu’à la corde. Entre les morceaux disjoints les coutures riaient aux éclats et montraient leurs dents de fil. Des reprises perdues, mais retrouvées depuis longtemps, bouchaient les trous avec des grillages compliqués comme ceux des judas de prison ou de portes espagnoles. Fanées par le soleil, l’air et la pluie, les couleurs de ces guenilles étaient devenues si indécises qu’un peintre eût eu de la peine à les désigner de leur nom propre. Le linge ne valait guère mieux. Des lavages