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CHEZ MONSIEUR LE MARQUIS.

Sigognac aperçut dans le miroir une image qu’il prit d’abord pour celle d’une autre personne, tant elle différait de la sienne. Involontairement il retourna la tête et regarda par-dessus son épaule pour voir s’il n’y avait pas par hasard quelqu’un derrière lui. L’image imita son mouvement. Plus de doute, c’était bien lui-même : non plus le Sigognac hâve, triste, lamentable, presque ridicule à force de misère, mais un Sigognac jeune, élégant, superbe, dont les vieux habits abandonnés sur le plancher ressemblaient à ces peaux grises et ternes que dépouillent les chenilles lorsqu’elles s’envolent vers le soleil, papillons aux ailes d’or, de cinabre et de lapis. L’être inconnu, prisonnier dans cette enveloppe de délabrement, s’était dégagé soudain et rayonnait sous la pure lumière tombant de la fenêtre comme une statue dont on vient d’enlever le voile en quelque inauguration publique. Sigognac se voyait tel qu’il s’était quelquefois apparu en rêve, acteur et spectateur d’une action imaginaire se passant dans son château rebâti et orné par les habiles architectes du songe pour recevoir une infante adorée arrivant sur une haquenée blanche. Un sourire de gloire et de triomphe voltigea quelques secondes comme une lueur de pourpre sur ses lèvres pâles, et sa jeunesse enfouie si longtemps sous le malheur reparut à la surface de ses traits embellis.

Blazius, debout près de la toilette, contemplait son ouvrage, se reculant pour mieux jouir du coup d’œil, comme un peintre qui vient de donner la dernière touche à un tableau dont il est satisfait.