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EFFET DE NEIGE.

Le Pédant, Sigognac et Scapin poussaient à la roue. Léandre faisait claquer le fouet pour exciter la pauvre bête : la frapper eût été cruauté pure. Quant au Matamore, il était resté quelque peu en arrière, car, il était si léger, vu sa maigreur phénoménale, que le vent l’empêchait d’avancer, quoiqu’il eût pris une pierre en chaque main et rempli ses poches de cailloux pour se lester.

Cette tempête neigeuse, loin de s’apaiser, faisait de plus en plus rage, et se roulait avec furie dans les amas de flocons blancs qu’elle agitait en mille remous comme l’écume des vagues. Elle devint si violente que les comédiens furent contraints, bien qu’ils eussent grande hâte d’arriver au village, d’arrêter le chariot et de le tourner à l’opposite du vent. La pauvre rosse qui le traînait n’en pouvait plus ; ses jambes se roidissaient ; des frissons couraient sur sa peau fumante et baignée de sueur. Un effort de plus, et elle tombait morte ; déjà une goutte de sang perlait dans ses naseaux largement dilatés par l’oppression de la poitrine, et des lueurs vitrées passaient sur le globe de l’œil.

Le terrible dans le sombre n’est pas difficile à concevoir. Les ténèbres logent aisément les épouvantes, mais l’horreur blanche se fait moins comprendre. Cependant, rien de plus sinistre que la position de nos pauvres comédiens, pâles de faim, bleus de froid, aveuglés de neige et perdus en pleine grande route au milieu de ce vertigineux tourbillon de grains glacés les enveloppant de toutes parts. Tous s’étaient