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EFFET DE NEIGE.

des aspects bizarres ou formidables, jusqu’à ce qu’ils se fussent évanouis de nouveau dans l’obscurité. Montré et caché tour à tour, à cette lueur incertaine, le groupe du Tyran et de Blazius, reliés par le cadavre horizontal du Matamore, comme deux mots par un trait d’union, prenait une apparence énigmatiquement lugubre. Scapin et Léandre, mus d’une inquiète curiosité, allèrent au-devant du cortège.

« Eh bien ! qu’y a-t-il ? dit le valet de comédie, lorsqu’il eut rejoint ses camarades ; est-ce que Matamore est malade que vous le portez de la sorte, tout brandi comme s’il eût avalé sa rapière ?

— Il n’est pas malade, répondit Blazius, et jouit même d’une santé inaltérable. Goutte, fièvre, catarrhe, gravelle n’ont plus prise sur lui. Il est guéri à tout jamais d’une maladie pour laquelle aucun médecin, fût-ce Hippocrate, Galien ou Avicenne, n’ont trouvé de remède, je veux dire la vie, dont on finit toujours par mourir.

— Donc il est mort ! fit le Scapin avec une intonation de surprise douloureuse en se penchant sur le visage du cadavre.

— Très-mort, on ne peut plus mort, s’il y a des degrés en cet état, car il ajoute au froid naturel du trépas le froid de la gelée, répondit Blazius d’une voix troublée qui trahissait plus d’émotion que n’en comportaient les paroles.

— Il a vécu ! comme s’exprime le confident du prince au récit final des tragédies, ajouta le Tyran. Mais relayez-nous un peu, s’il vous plaît. C’est votre