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OÙ LE ROMAN JUSTIFIE SON TITRE.
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Sigognac était accoutumé de longue main à cette frugalité plus qu’espagnole, et il avait fait dans son château de la Misère plus d’un repas dont les souris eussent été embarrassées de grignoter les miettes, car il était lui-même la souris. Cependant il ne pouvait s’empêcher d’admirer la bonne humeur et verve comique du Pédant, qui trouvait à rire là où d’autres eussent gémi comme veaux et pleuré comme vaches. Ce qui l’inquiétait, c’était Isabelle. Une pâleur marbrée couvrait ses joues, et, dans l’intervalle des morceaux, ses dents claquaient en manière de castagnettes avec un mouvement fiévreux qu’elle cherchait en vain à réprimer. Ses minces vêtements la défendaient mal contre l’âpre froidure, et Sigognac, assis près elle, lui jeta, bien qu’elle s’en défendît, la moitié de sa cape sur les épaules, l’attirant près de son corps pour la refociller et lui communiquer un peu de chaleur vitale. Près de ce foyer d’amour, Isabelle se réchauffa, et une faible rougeur reparut sur son visage pudique.

Pendant que les comédiens mangeaient, un bruit assez singulier s’était fait entendre, auquel d’abord ils n’avaient prêté nulle attention, le prenant pour un effet du vent qui sifflait à travers les branches dépouillées du taillis. Bientôt le bruit devint plus distinct. C’était une espèce de râle enroué et strident, à la fois bête et colère, dont il eût été difficile d’expliquer la nature.

Les femmes manifestèrent quelque frayeur. « Si c’était un serpent ! s’écria Sérafine ; j’en mourrais, tant ces affreuses bêtes m’inspirent d’aversion.