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LE CAPITAINE FRACASSE.

mées et jaunes de l’unique fenêtre qui éclairât la cuisine diminuer et s’éteindre la dernière barre lumineuse du couchant au bord d’un ciel rayé de nuages lourds et gros de pluie. Quel plaisir peut-il trouver à se promener seul ainsi dans les landes ? Il est vrai que ce château est si triste qu’on ne saurait s’ennuyer davantage ailleurs. »

Un aboi joyeusement enroué se fit entendre ; le cheval frappa du pied dans son écurie et fit grincer sur le bord de sa mangeoire la chaîne qui l’attachait ; le chat noir interrompit le bout de toilette qu’il faisait en passant sa patte humectée préalablement de salive sur ses bajoues et au-dessus de ses oreilles écourtées, et fit quelques pas vers la porte en animal affectueux et poli qui connaît ses devoirs et s’y conforme.

Le battant s’ouvrit ; Pierre se leva, ôta respectueusement son béret, et le nouveau venu fit son apparition dans la salle, précédé du vieux chien dont nous avons déjà parlé, et qui essayait une gambade et retombait lourdement, appesanti par l’âge. Béelzébuth ne témoignait pas à Miraut l’antipathie que ses pareils professent d’ordinaire pour la gent canine. Il le regardait au contraire fort amicalement, en roulant ses prunelles vertes et en faisant le gros dos. On voyait qu’ils se connaissaient de longue main et se tenaient souvent compagnie dans la solitude du château.

Le baron de Sigognac, car c’était bien le seigneur de ce castel démantelé qui venait d’entrer dans la cuisine, était un jeune homme de vingt-cinq ou vingt-six ans, quoique au premier abord on lui en eût at-