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LE CAPITAINE FRACASSE.

les endroits exposés au nord. Un rayon de soleil brillait. Isabelle ne put résister à la tentation d’ouvrir la fenêtre et de mettre un peu son joli nez dehors pour examiner la vue qu’on découvrait de sa chambre, fantaisie d’autant plus innocente que la croisée donnait sur une ruelle déserte, formée d’un côté par l’auberge et de l’autre par un long mur de jardin que dépassaient les cimes dépouillées des arbres. Le regard plongeait dans le jardin et pouvait y suivre le dessin d’un parterre marqué par des ramages de buis ; au fond s’élevait un hôtel dont les murailles noircies attestaient l’ancienneté.

Deux cavaliers s’y promenaient le long d’une charmille, jeunes tous deux et de bonne mine, mais non égaux de condition, à voir la déférence dont l’un faisait montre à l’endroit de l’autre, se tenant un peu en arrière et cédant le haut de l’allée toutes les fois qu’il fallait revenir sur ses pas. En ce couple amical le premier était Oreste et le second Pylade. Oreste, donnons-lui ce nom puisque nous ne connaissons pas encore le véritable, pouvait avoir de vingt à vingt-deux ans. Il avait le teint pâle, les yeux et les cheveux fort noirs. Son pourpoint de velours tanné faisait valoir sa taille souple et svelte : un manteau court de même couleur et de même étoffe que le pourpoint, bordé d’un triple galon d’or, lui pendait de l’épaule, retenu par une ganse dont les glands retombaient sur la poitrine ; des bottes molles en cuir blanc de Russie chaussaient ses pieds, que plus d’une femme eût jalousés pour leur petitesse et leur cambrure que faisait res-