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LE CAPITAINE FRACASSE.

ouvertes, et ses jambes, trop courtes pour atteindre le sol, restaient en l’air un pied croisé sur l’autre. Ces jambes, fines comme des fuseaux, étaient devenues d’un rouge brique par l’effet du froid, du soleil et des intempéries. De nombreuses égratignures, les unes cicatrisées, les autres fraîches, révélaient des courses habituelles à travers les buissons et les halliers. Les pieds, petits et délicats de forme, avaient des bottines de poussière grise, la seule chaussure sans doute qu’ils eussent jamais portée.

Quant au costume, il était des plus simples et se composait de deux pièces : une chemise de toile si grossière que les barques en ont de plus fine pour leur voilure, et une cotte de futaine jaune à la mode aragonaise, taillée jadis dans le morceau le moins usé d’une jupe maternelle. L’oiseau brodé de diverses couleurs qui orne d’ordinaire ces sortes de jupons faisait partie du lé levé pour la petite, sans doute parce que les fils de la laine avaient soutenu un peu l’étoffe délabrée. Cet oiseau ainsi posé produisait un effet singulier, car son bec se trouvait à la ceinture et ses pattes au bord de l’ourlet, tandis que son corps, fripé et dérangé par les plis, prenait des anatomies bizarres et ressemblait à ces volatiles chimériques des bestiaires ou des vieilles mosaïques byzantines.

L’Isabelle, la Sérafine et la soubrette prirent place sur ce banc, et leur poids réuni à celui bien léger de la petite fille suffisait à peine pour contre-balancer la masse de la duègne, assise à l’autre bout. Les hommes se distribuèrent sur les autres banquettes, laissant par