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LE CAPITAINE FRACASSE.

les grands seigneurs, et bientôt roulant carrosse. Léandre rêvait les plus hautes conquêtes, et c’est tout au plus s’il consentait à ne pas usurper la reine. Quoiqu’il n’eût pas bu, sa vanité était ivre. Depuis son aventure avec la marquise de Bruyères, il se croyait décidément irrésistible, et son amour-propre ne connaissait plus de bornes. Sérafine se promettait de ne rester fidèle au chevalier de Vidalinc que jusqu’au jour où se présenterait un plumet mieux fourni et plus huppé. Pour Zerbine, elle avait son marquis qui la devait bientôt rejoindre, et elle ne formait point de projets. Dame Léonarde étant mise hors de cause par son âge et ne pouvant servir que d’Iris messagère, ne s’amusait pas à ces futilités et ne perdait pas un coup de dent. Blazius lui chargeait son assiette et lui remplissait son gobelet jusqu’au bord avec une rapidité comique, plaisanterie que la vieille acceptait de bonne grâce.

Isabelle, qui depuis longtemps avait cessé de manger, roulait distraitement entre ses doigts une boulette de mie de pain à laquelle elle donnait la forme d’une colombe et reposait sur son cher Sigognac, assis à l’autre bout de la table, un regard tout baigné de chaste amour et de tendresse angélique. La chaude température de la salle avait fait monter une délicate rougeur à ses joues naguère un peu pâlies par la fatigue du voyage. Elle était adorablement belle de la sorte, et si le jeune duc de Vallombreuse eût pu la voir ainsi, son amour se fût exaspéré jusqu’à la rage.

De son côté, Sigognac contemplait Isabelle avec une