Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/129

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dage de la barque, et que les rameurs, les pieds appuyés contre les tasseaux, le corps renversé en arrière et pesant de tout leur poids sur les avirons, avaient toute la peine du monde à maintenir l’esquif dans sa direction.

Cachée entre deux énormes vagues, la yole passa inaperçue devant le bateau de police, dont le fanal rouge semblait à moitié endormi, comme un œil aviné.

Il vente à décorner Satan, murmura Saunders, et voyant que Benedict frissonnait sous son mince habit noir, il lui jeta sur le dos un coin de caban grossier qu’il ramassa avec son pied au fond de la barque ; il est certain qu’avec un temps pareil, nous ne rencontrerons pas beaucoup de canots flânant sur la Tamise. Nous sommes favorisés par le temps, et même un peu trop favorisés, ajouta-t-il en recevant en plein dans la figure l’écume d’une vague qui déferlait.

Les passages des ponts étaient surtout effrayants. L’eau s’engouffrait sous les arches en sombres cataractes avec un bruit terrible et un rejaillissement épouvantable ; la rafale qui soufflait en sens inverse contrariait, sans pouvoir l’arrêter, la course furieuse des vagues creusées en tourbillon et rendues folles par cette résistance dans l’étroit passage des piles dont l’obstacle faisait refluer leurs masses. Le vent mugissait, l’eau sifflait et grondait, et les échos humides des arches répercutaient ces bruits en les rendant plus effrayants encore.

La barque, dirigée avec un tact miraculeux et une perspicacité presqu’incontestable à travers