Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/131

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ni, et de ses lèvres violettes, avec un accent inexprimable, jaillirent ces mots : Sauvez-moi ! sauvez-moi !

— Que faire ? dit Saunders. Si elle continue ainsi, elle va nous faire tourner ou entraver notre marche ; et pourtant ce serait dur de lui couper les mains, car il n’y aurait pas d’autre moyen de la faire lâcher et de lui replonger la tête dans cette vilaine eau noire qui lui fait si peur.

— Ce serait un crime abominable, dit Benedict en saisissant les bras de l’infortunée et en s’efforçant de l’attirer dans le bateau.

Tous les rameurs se jetèrent à l’autre bord, et comme l’homme mystérieux placé à la poupe ne fit aucune observation, Saunders aida Benedict dans l’opération du sauvetage ; et bientôt, passée pardessus le bord, la femme entra dans la barque, et s’assit ou plutôt s’affaissa aux pieds de Benedict.

La marche de la barque, un instant retardée par cet accident, fut accélérée pour gagner le temps perdu, et bientôt on laissa en arrière le pont de Londres, et la yole fila avec plus de rapidité que la flèche au milieu des rangées de navires, dont les esparres se heurtaient avec un cliquetis lugubre, et dont les poulies, tracassées par le vent, piaulaient comme des oiseaux de nuit.

Le silence le plus profond régnait dans la barque, les rameurs semblaient retenir leurs souffles, les rames garnies de linges entraient dans l’eau muette, comme si elles se fussent baignées dans un brouillard, et le seul bruit que l’on y entendit