Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/160

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ce que nous ne savons pas encore. Était-ce un voleur, un amant, ou un espion, un ennemi ou un ami ? Pressentait-il la catastrophe qui devait arriver, et avait-il voulu y assister invisible témoin ? Toutes ces questions, nous ne sommes pas encore à même de les résoudre. Ce que nous pouvons dire, c’est que le rôdeur nocturne vit Edith sauter la terrasse du jardin, Volmerange la poursuivre et la jeter dans la Tamise, sans intervenir dans cette scène affreuse dont il s’était contenté d’être le spectateur lointain et silencieux. Quand Volmerange, sa vengeance accomplie, rentra dans le cœur de la ville, l’ombre le suivit de loin, réglant son pas sur le sien, de façon à ne pas le perdre de vue et ne pas en être remarqué.

La tête perdue, le cœur plein de rage et de regrets, Volmerange marcha ainsi jusqu’à Regent’s-Park où, accablé de fatigue, de douleur et de désespoir, il se laissa tomber sur un banc, au pied d’un arbre, dans l’état le plus complet de prostration ; ses idées l’abandonnaient et sa tête vacillait sur ses épaules ; sa taille vigoureuse fléchissait ; il tomba dans ce morne assoupissement par lequel la nature, lasse de souffrir, se refuse aux tortures morales ou physiques.

Pendant qu’il sommeillait, l’ombre noire s’approcha de lui d’un pas si léger, si furtif, si souple, qu’elle ne déplaçait pas un grain de sable et qu’elle ne courbait pas un brin de gazon ; elle posa sur les genoux de Volmerange un papier de forme bizarre et une enveloppe pleine de lettres , puis se retira plus doucement encore et se cacha derrière les arbres, avec lesquels elle se confondit bientôt.