Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/212

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plus de but ni d’espoir, aucune raison d’être : tout m’est impossible, même la mort, puisque Dieu m’a suspendue sur le gouffre sans m’y laisser enfoncer. Disposez de votre servante, substituez votre volonté à la mienne, mettez votre âme dans mon cœur vide. Soyez ma pensée ; je m’abjure dès aujourd’hui, j’oublie qui j’ai été, qui je suis, je désapprendrai jusqu’à mon nom ; je prendrai celui que vous m’imposerez ; un fantôme, cela se baptise comme on veut ; je me tiendrai debout, et j’irai jusqu’au jour où vous me direz : Spectre, je n’ai plus besoin de toi, recouche-toi dans ta tombe.

— Je t’accepte, dit Arthur Sidney d’un ton solennel et presque religieux, toi qui te donnes sans réserve et te voues au but inconnu avec ardeur et foi, ô pauvre jeune âme brisée ; je te promets, à défaut de bonheur, au moins le repos. Désormais, vous habiterez cette petite chambre à côté de ma cabine, et aux yeux de l’équipage, qui ne vous a pas vue dans vos habits de femme, vous passerez pour mon mousse.

Edith fut installée dans un étroit réduit, et son office, plus apparent que réel, se bornait à chercher un livre pour Sidney ou à lui apporter sa longue-vue ; le reste du temps, appuyée sur le bastingage ou perchée dans le trinquet de gabie, elle noyait ses regards dans les nuages infinis et contemplait l’Océan, qui lui paraissait petit à côté de son chagrin.

Le vaisseau fuyait toujours, enfermé dans ce cercle d’airain que l’horizon de la mer trace autour des navires. Le soleil se levait et se couchait ;