Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/227

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Ce fut une impression singulière pour sir Benedict Arundell et miss Amabel, lorsqu’ils se trouvèrent seuls à table, placés conjugalement en face l’un de l’autre et servis par un domestique silencieux. Cette intimité soudaine, née de la supposition de leur mariage et parfaitement naturelle dans cette hypothèse, les étonnait, les effrayait, et peut-être les charmait à leur insu.

La combinaison d’événements bizarres qui avait amené cette situation impossible ne s’était peut-être pas produite une fois depuis que la terre accomplit sa révolution autour du soleil, et encore n’en connaissaient-ils pas toute l’étrangeté, car Arundell et miss Edith ignoraient qu’ils fussent, l’un un mari sans femme, l’autre une femme sans mari. Benedict, détourné par Sidney, n’était point entré dans l’église de Sainte-Margareth, et sous le noir porche les deux blanches fiancées s’étaient seules rencontrées.

Ce qu’ils savaient, c’est qu’ils se trouvaient à deux mille lieues de leur patrie, sur ce triste îlot de Sainte-Hélène, par suite de la froide symétrie d’un plan mystérieux, obligés de vivre jour et nuit sous le même toit…, tous deux jeunes et beaux, et sans amour.

Le repas fini, ils visitèrent la maison plus en détail, et s’aperçurent qu’il n’y avait qu’une seule chambre à coucher. Edith rougit dans sa pudeur anglaise, et Benedict, arrêté sur le seuil et comprenant l’embarras de sa prétendue femme, dit :

— Je ferai accrocher un hamac pour moi dans la chambre d’en haut.

Edith, rassurée, sourit doucement et jeta son