Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

êtres que nous chérissons et que nous ne reverrons peut-être jamais.

— C’est vrai, répondit la jeune femme rêveuse : la destinée a d’étranges caprices.

Les faux époux avaient désormais un de ces commodes sujets de conversation où les inclinations naissantes trouvent les moyens de faire ces aveux indirects que l’on peut confirmer ou rétracter suivant qu’ils réussissent. Benedict parlait d’Amabel et de sa beauté en termes qui, à la rigueur, pouvaient s’appliquer aussi à Edith. Il s’exhalait en regrets et peignait sa passion avec les traits les plus vifs et les couleurs les plus brûlantes. La jeune femme attentive, intéressée au plus haut point, écoutait cette éloquence passionnée avec d’autant moins de scrupule qu’elle ne s’adressait pas directement à elle.

Elle y répondait par des protestations d’amour pour Volmerange, dont elle reconnaissait avoir justement mérité la colère, ayant manqué de franchise avec lui. Dans ces entretiens ambigus, chacun montrait sa sensibilité, sa tendresse, sa puissance de dévoûment, et déployait sans crainte tous les trésors de son âme. À l’abri des noms d’Amabel et de Volmerange, ils se livraient à des subtilités de métaphysique amoureuse. Leur passion inconnue d’eux-mêmes, et cachée par ce masque, usait de la liberté du bal travesti. Insensiblement, Edith prenait la place d’Amabel et Benedict celle de Volmerange.

Ils n’avaient pas, il est juste de le dire, la conscience de cette substitution, et s’abandonnaient d’autant plus volontiers au charme qui les entraî-