Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tacles naturels et insurmontables, comme le temps et l’espace ; sa main allongée sur son genou tenait encadrée dans sa paume une montre dont il suivait les aiguilles d’un œil inquiet ; puis, jetant son regard à travers la portière sur les bords de la route, il mesurait la vitesse avec laquelle disparaissaient les arbres dans l’étroit carreau.

— La demi-heure perdue sera bientôt regagnée si les chevaux soutiennent ce train encore quelque temps, murmura le mystérieux personnage avec un soupir de satisfaction.

Ce personnage si pressé d’arriver mérite bien qu’on en retrace la physionomie en quelques coups de crayon.

Il était jeune, et sa figure régulière et froide, mais empreinte d’un cachet de réflexion et de volonté, accusait tout au plus vingt-six ou vingt-sept ans. Tout le bas du masque, coloré par des couches successives de hâle, trahissait de nombreux voyages ou de longs séjours dans l’Orient et les chaudes régions du tropique, car ce teint rembruni ne lui était pas naturel ; le front légèrement découvert, et floconné de petites boucles de cheveux blonds très-fins, avait des blancheurs satinées, et, préservé des ardeurs du soleil par l’ombre du chapeau, avait gardé tout l’éclat du sang septentrional.

Même après l’examen que nous venons de faire, il eût été difficile d’assigner un rang quelconque ou une position sociale distincte à l’individu assis sur les coussins de draps de Lincoln de la berline vert-olive de maître Geordie, qui eût poussé assu-